(Les chiffres et les lettres, suite)
En cette Rentrée, j'ai eu l'honneur de participer à la 1e édition du prix Hors-Concours, orchestré par la dynamique, joyeuse et gastronome Gaëlle Bohé. Un prix original, destiné à mettre en lumière la production "indépendante", où la pré-sélection se faisait sur la base d'extraits proposés par les éditeurs, choisis dans un de leurs romans de l'année.
Cet été, j'ai donc reçu un recueil de 50 extraits de romans français d'éditeurs dont les noms sont rarement sur les tables de la fnuc.
Du parfait matériau pour poursuivre notre analyse statistique de la littérature française ! J'allais pouvoir les passer à la même moulinette hautement scientifique que les pages 111 du prix du même nom, avec cette question : si on s'en tient au texte, et rien qu'au texte, en quoi la production 'indépendante' se distingue-t-elle de l'édition classique ?
C'est parti.
(Note technique : mieux vaut sans doute cliquer sur les diagrammes pour que la Vérité apparaisse moins floue)
Des romans qui se baladent dans le monde entier
Qui l'eût cru ? 44 % des extraits 'indés' se passent hors de France. C'est la même proportion, voire un peu plus, que les romans de la Rentrée 2014 (40%) et 2015 (42%).
Et si nous avions débusqué là une vérité immuable de l'édition française, tous éditeurs confondus ? Mazette.
Des romans qui osent regarder devant
L'analyse des pages 111, ces deux dernières années, montrait une littérature française volontiers tournée vers le passé.
L'édition indépendante se distingue assez nettement dans ce domaine, avec seulement un quart des textes qui regardent dans le rétro, et 12 % qui osent le futur ou la dystopie.
La voix du « je »
60 % de textes à la première personne : l'édition indé est clairement une écriture du "je".
A titre de comparaison : la proportion de "je" dans une Rentrée littéraire s'établit depuis deux ans à 45 %.
Et alors ? demanderas-tu. Bonne question. On attendra de futurs échantillons (car il y aura d'autres éditions, n'est-ce pas Gaëlle?) pour conclure quoi que ce soit.
Indépendants et imparfaits
Narration au passé ou narration au présent ? Là-dessus, l'édition indépendante ne se distingue pas du reste de la production. 46 % de textes écrits au présent, c'est assez proche du 43 % qu'on observait sur les pages 111 de la Rentrée 2015.
Là où une différence apparaît, c'est dans le nombre, assez surprenant à vrai dire, de textes écrits à l'imparfait. 14 %, tout de même ! Et il ne s'agit pas forcément de hardiesse stylistique : c'est aussi le signe d'une narration qui n'avance pas beaucoup, où les verbes d'état prennent le pas sur les verbes d'action.
On pourrait presque conclure là-dessus : ce qu'on aime aussi dans l'édition indépendante, c'est son imperfection, mais ce ne serait que pirouette...
La famille, la mort, les souvenirs... et la 2e guerre mondiale
Est-ce l'époque ? Est-ce la légendaire noirceur de l'auteur qui se débat avec ses démons et ceux du vaste monde ? Notre échantillon d'édition indépendante n'est pas plus joyeux que les pages 111 lues depuis trois ans.
La famille arrive en premier (24 % des textes), – avec une prédilection pour les lourds secrets. Suivent la mort (22%), la guerre (16%), la maladie (12%)... Youhou !
Mais ce qu'on retient surtout, de ces 50 lectures, c'est l'immense diversité des thèmes abordés. Des belles voitures et un abattoir, un groupuscule politique et un fils qui regarde la télé avec sa mère, une piscine chic et une tour en démolition... Classer serait vain ; le projet d'une rentrée littéraire, comme dirait Serge Joncour dans le dernier Décapage, c'est de s'y perdre. Hop.
(Ah oui, le chiffre qui tue, quand même : 10 % des textes parlaient encore de la Seconde guerre mondiale. Il serait peut-être temps qu'elle prenne fin)
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Le Prix Hors Concours sera remis le 9/11. Les finalistes ?
Fabien Maréchal, Dernier avis avant démolition (Antidata)
Laurence Biberfeld, Ce que vit le rouge-gorge (Au-delà du raisonnable)
Gilles Marchand, Une bouche sans personne (Aux forges de Vulcain)
Bruno Doucey, Le carnet retrouvé de Monsieur Max (Bruno Doucey)
Carl-Keven Korb, Une nuit pleine de dangers et de merveilles (Le chemin de fer)
Brahim Metiba, Ma mère et moi (Mauconduit)
Benoît-Marie Lecoin, Ringo (Le Murmure)
Anna Dubosc, Koumiko (Rue des promenades)
Alea jacta est. A toi de jouer, Lauren Malka.
Commentaires
Bon je n'ai lu que "Dernier avis avant démolition" de Fabien Maréchal mais à mon pas humble du tout avis, de manière tout à fait unilatérale et très convaincue je lui accorde le prix. Une pépite ! si tu n'as lu qu'un extrait il faut persévérer, un extrait d'une nouvelle ça me paraît tout de même un poil short pour se faire un avis mais bon.
https://cuneipage.wordpress.com/2016/03/23/la-vieillesse-et-la-souffrance-sont-intraitables-on-ne-peut-rien-negocier-avec-elles-que-le-degre-de-culpabilite/
C'était le N°1 sur ma liste ! Une évidence - et oui, l'envie d'aller au-delà de l'extrait - surtout après lecture de ton billet (et élimination de la plupart des textes pour lesquels j'avais voté,).
Bref rien de bien nouveau... pas même côté coteries